Regardez là-bas les collines Euganéennes, Foscarina. Si le vent se lève, elles se promèneront dans l'air comme des voiles, elles passeront au-dessus de nos têtes. Je ne les ai jamais vues aussi transparentes... Un jour, j'aimerais t'accompagner à Arquà. Là-bas, les villages sont roses comme les coquillages de la terre par myriades. Quand nous arriverons, les premières gouttes d'une bruine soudaine arracheront quelques pétales aux fleurs de pêcher. Nous nous arrêterons sous un arc palladien, pour ne pas nous mouiller. Puis nous chercherons la fontaine de Pétrarque, sans demander le chemin à personne. Nous emporterons les Rimes en petits caractères de Missirini, ce petit livre que tu gardes au chevet de ton lit et que tu ne peux plus fermer parce qu'il s'est gonflé d'herbes comme l'herbier d'une poupée... Veux-tu que nous allions à Arquà un jour de printemps ? Elle ne répondit pas, mais regarda les lépreux qui lui disaient ces choses gentilles ; et, sans espoir, elle aima le son et l'acte et rien d'autre, fugitivement. Dans ces images printanières et dans une sestina de Pétrarque, il y avait pour elle le même enchantement lointain. [...] Et il prit la femme par les mains, la secoua un peu, la regarda dans les yeux, essaya de sourire ; puis il l'attira vers le soleil, sur l'herbe de la prairie. "Quelle chaleur ! Vous sentez-vous ? Comme l'herbe est bonne !" Il plisse les yeux pour recevoir les rayons sur ses paupières, aussitôt repris par la volupté de la vie. Elle l'imita, séduite par le plaisir de son ami, et d'entre ses paupières elle regarda sa bouche fraîche et sensuelle. Ils restèrent ainsi quelques instants sous la caresse du soleil, les pieds dans l'herbe, les mains dans celles de l'autre, sentant dans le silence leurs veines palpiter comme des ruisseaux qui s'accélèrent à la fonte des frimas au printemps. Elle repensa aux collines Euganéennes, aux villages roses comme des coquillages fossilisés, aux premières gouttes de pluie sur les nouvelles feuilles, à la fontaine de Pétrarque, à toutes les choses douces.
De Le Feu, 1900
Naissance : 12 Mars 1863, Pescara
Décès : 1 Mars 1938, Gardone Riviera
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